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 la vie est belle (elie)

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MessageSujet: la vie est belle (elie)   la vie est belle (elie) EmptyJeu 15 Jan - 20:13

la vie est belle


Sur la table à manger ovale en verre, un vase contient des scilles de Sibérie, à la couleur d'un bleu violet. Je suis certaine qu'elles ne vont pas tenir une semaine, et pourtant je ne peux pas m'empêcher de les couver du regard avec un espoir fou. Je les ai coupées cet après-midi. C'est stupide, je le sais, mais je n'ai pas eu le courage de ne pas le faire. Même dans leur pot elles n'auraient pas tenu longtemps, puisque la terre est encore et toujours pleine de radiations. Ça me désespère, mais je m'y suis faite, aussi. Tant pis. Elles dureront le temps qu'elles dureront. Assise sur le canapé anthracite du salon, je porte à mes lèvres la tasse de thé qui est désormais glacé. J'ai laissé le temps filer en observant les fleurs, à me perdre dans des réflexions relatives aux plantes et je frissonne d'être bras nus, une chemise azur à manches courtes comme simple haut. Le livre que je lisais est toujours posé sur mes genoux, ouvert et la tranche cassée. Ça doit être la dixième fois que je le lis et il faudrait bien que j'arrête, un jour ou l'autre, mais sa beauté me subjugue et m'interdis de ne pas tourner ses pages encore une fois. Le bonheur de la lecture me rend parfois triste pour ceux qui ne peuvent pas déchiffrer les lettres qui dansent sous leurs yeux, mais parfois aussi, parfois je suis heureuse d'avoir ce savoir secret qui me permet de m'évader d'une autre façon. Alors Des fleurs pour Algernon emplit mes yeux de larmes, fait bondir mon cœur, et me fait souffler des soupirs peinés au fil de la lecture, et j'oublie le dôme et les radiations pour plonger dans un imaginaire inconnu.

La porte pourtant claque et m'arrache à ma lecture, me ramenant brutalement à la réalité ascétique du dôme et du monde sans fleurs. Je lève la tête, pour m'enquérir de la personne qui vient d'entrer dans l'appartement du 77e étage que j'occupe avec mon époux, Bilàl, et vois apparaître son garde du corps, visiblement seul. Je referme le livre que je pose, clos, sur mes genoux, sans chercher à me lever particulièrement. Elie a un double des clefs depuis qu'il est à notre service, c'était plus pratique que l'un de nous vienne lui ouvrir à chaque fois. Et puis comme cela, il peut aller et venir à sa guise. J'arque un sourcil à son encontre, curieuse de voir ce qu'il se passe. Mais d'un autre côté, je crois déjà savoir ce qu'il y a. Normalement, il ne lâche pas Bilàl d'un centimètre lorsque ce dernier sort de l'appartement. Et s'il est là, sans Bilàl, c'est que soit Bilàl est mort ou blessé -mais il aurait sans doute l'air plus inquiet- soit que Bilàl a réussi à lui faire faux bond en usant d'un quelconque stratagème. Si je devais parier avec moi-même, je choisirais la deuxième solution. Mais pour le moment, hors de question de parier sur quoi que ce soit. Je finis par lui demander, poliment, la raison de sa présence en ces lieux : « Bilàl a réussi à t'échapper ? » Question rhétorique, je n'attends même pas de réponse. Je ne peux retenir ce sourire en coin qui pointe sur mes lèvres, alors que je devrais être compatissante. Plus le temps passe et plus mon époux m'apparaît comme un gamin à qui on ne peut donner ni contraintes, ni laisse. Un sale gosse, diraient certains ; un immigré, diraient d'autres… Quant à moi, je me contente souvent, lors de ce constat, de hausser les épaules.

Parfois, je me demande pourquoi j'ai pris la peine d'engager un garde du corps pour mon mari, puisqu'il a l'air de prendre un malin plaisir à le semer. Mais Elie a déjà montré de nombreuses fois son utilité et sa valeur, alors je ne vais certainement pas le congédier devant la mauvaise foi conjugale. Je désigne le fauteuil face à moi à mon visiteur, l'invitant à y prendre place d'un signe de la main. « Si tu veux boire quelque chose, sers-toi. Tu m'excuseras, je suis trop bien dans le canapé. » Ça fait sept ans que l'on se connait, Elie et moi. Sept ans que je l'ai entubé sans une once de regrets ou de honte. Il ne prendra pas ombrage que je ne joue pas la parfaite maîtresse de maison à son égard. Je finis par poser le livre sur le canapé à côté de moi et je croise les jambes en tailleur, profitant du fait que je suis en pantalon -noir- pour ne pas risquer d'être indécente face à lui. Bilàl a beau me tromper depuis le début de notre mariage, il n'en reste pas moins que j'ai une éducation qui m'interdit l'indécence. Ça, et ma fierté. Je reprends ma tasse de thé tout en m'enfonçant sur le dossier du canapé, et sirote l'eau parfumée entre le tiède et le froid tout en observant le visage du garde du corps autrefois promis à l'exil hors du dôme. « Tu as l'air soucieux, mais je suppose que si tu l'étais trop, tu ne serais pas là. Tu serais plutôt assis sur Bilàl, quelque part je-ne-sais-où, à l'empêcher de bouger. Plutôt que de venir ici, je veux dire. Que se passe-t-il ? »
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